Le président de la Fédération Protestante de France, Claude Baty, fait le point sur certains aspects de la situation religieuse algérienne :
Profil bas ou solidarité ?
Je vous le dis comme je le pense, je suis choqué par le ton d’un certain nombre de commentaires bien-pensants sur la situation des chrétiens en Algérie.
Le ton condescendant utilisé est insupportable, les protestants évangéliques accusés de prosélytisme sont fustigés comme fauteurs de troubles, sous entendu qu’entre gens bien élevés on s’entendait très bien avant.
Cette attitude procède, d’une part, d’une conception du monde largement dépassée, et d’autre part d’une caricature de la réalité.
Dans le monde qui est le nôtre aujourd’hui, il faut se souvenir en particulier du rôle joué par la communication ; comment imaginer que les populations qui sont d’une manière ou d’une autre dans un réseau mondial puissent se ranger sagement dans des « territoires canoniques » ! Les terres orthodoxes, catholiques, protestantes, musulmanes, etc., n’existent plus. Les chaines satellitaires, par exemple, mais aussi Internet, sans parler de la circulation des personnes, provoquent inévitablement un bouleversement dans l’agencement du monde ancien. Faut-il interdire l’accès aux moyens de communication et revenir sur la liberté de circulation ?
Le monde a changé, au nom de quoi faudrait-il maintenir le concept d’islamité quand celui de catholicité (et de chrétienté depuis longtemps) a dû être abandonné ?
Accuser, comme c’est sans cesse le cas, les chrétiens qualifiés « d’évangélistes » de provoquer par leur comportement des réactions inévitables (sous-entendu méritées) est très grave. Ce genre de raisonnement, qui insinue qu’il n’y a pas de fumée sans feu, légitime toutes les chasses aux sorcières.
Le cas des six hommes jugés à Tiaret est exemplaire. Ils sont présentés comme jeunes, or si le plus jeune a 26 ans, il y a un opticien de 53 ans, un vétérinaire quadragénaire, ce n’est donc pas un groupe de jeunes désœuvrés et sous influence ! Ces hommes étaient réunis chez l’un d’eux pour parler de la foi ! Grave provocation publique ! Inutile d’entrer dans plus de détails pour comprendre que la réalité n’est pas celle de chrétiens manipulés de l’extérieur, exaltés, évangélisant dans les rues, mais celle de citoyens qui partagent leurs convictions. Plusieurs de ces hommes ont effectivement confessé leur foi chrétienne devant le tribunal. Que chez nous, de « sages » chrétiens trouvent cela déplacé est invraisemblable. On célèbre les martyrs d’autrefois, et aujourd’hui on leur conseillerait de se taire ? Le profil bas qui est recommandé par certains ne saurait être une obligation faite à des chrétiens qui prennent consciemment leur responsabilité et les risques qui vont avec.
Soyons conscients que ces chrétiens sont désignés comme bouc émissaire. Il est tragique que certains de leurs frères chrétiens s’associent à ce mécanisme. Les exemples sont nombreux, dans l’histoire et en plusieurs pays, de biens-pensants qui dénoncent des suspects ; n’allongeons pas la liste. Beaucoup d’Algériens non protestants ne s’y trompent pas et se montrent solidaires de ces Algériens injustement accusés ; eux savent que c’est la liberté de tous qui est menacée. Il y a beaucoup de naïveté chez ceux qui prétendent que l’équilibre du pays est menacé par ces « nouveaux » chrétiens. Certes, il y a un développement important des Églises protestantes, mais, d’une part, ces protestants évangéliques sont des Algériens qui aiment leur pays et respectent leurs concitoyens, et, d’autre part, ils restent une minorité.
Pour conclure, un mot sur le prosélytisme. Ce sont toujours les autres qui font du prosélytisme, c’est bien connu. Or, témoigner de sa foi semble constitutif de toute religion, croyance, conviction ; et pour les chrétiens il n’y a pas de doute, l’Évangile est une Bonne Nouvelle… à partager. Ce qui est haïssable, c’est l’usage de la force, les pressions d’où qu’elles viennent, la manipulation, la propagande, la désinformation ! C’est cela qu’il faut dénoncer et à quoi il ne faut pas participer !
Claude Baty, président de la Fédération protestante de France
Source(s) : FPF;FEDERATION PROTESTANTE DE FRANCE;
Date de parution : 05 juin 2008